Noirs et Blancs en couleurs

par Philippe  -  24 Juin 2014, 08:38

Noirs et Blancs en couleurs

Documentaire de Maurice Dubroca, Ego Productions, 2012.

Refusé par plusieurs chaines françaises de TV dont France 5 au motif selon son producteur que la chaine avait déjà diffusé "ce genre de sujet sur les Maghrébins" le documentaire évoque la place très réduite des comédiens Noirs dans le cinéma français.

En 1896 les frères Lumière filment ce qu'ils appellent "des négrillons". Quelques gamins enlevés à l'Afrique pour être exhibés dans un zoo humain. Ils sautent dans un bassin artificiel à le recherche de pièces de monnaie jetées par des Blancs massés sur le bord. Les réalisateurs filment prudemment les Noirs de loin à l'image des Indiens menaçants. Il n'y a pas de gros plans, pas d'émotions et pas le moindre soupçon d'histoire personnelle. Face aux Blancs éduqués ils ne sont que des sauvages.

Les réalisateurs américains adoptent aussi la même approche. En 1915 David Wark Griffith réalise "la naissance d'une nation" ou il glorifie les organisations racistes. Un intellectuel Noir Emmet J. Scott veut lui répondre à travers du film intitulé "Lincoln's dream" qu'il projette de réaliser. Les producteurs se désistent les uns après les autres et il ne peut que filmer "la naissance d'une race" dont les propos sont très édulcorés. Dès 1920 les films ridiculisent les Noirs qui y apparaissent en serveurs, bandits ou esclaves. Un acteur Paul Robeson va s'efforcer de changer cela. Après des études juridiques il triomphe en 1936 dans la comédie "Show boat". Il met sa notoriété au service de la cause des Noirs mais les dirigeants des Studios hollywoodiens n'apprécient pas cela. Paul Robeson est boycotté et sa carrière est brisée. Il faudra attendre les années 50 et des films comme "L'âge de la chair" d'Eia Kazan (1949) "Frontières invisibles" d'Alfred L. Walker (1949), "la chaine" de Stanley Kramer (1958) pour briser le tabou racial et montrer que les comédiens Noirs sont des comédiens comme les autres.

A la fin des années 50 on assiste a un phénomène étrange en France et aux Etats - Unis. Le réalisateur français Marcel Camus tourne "Orfeu Negro" au Brésil. Ce film adapte le mythe d'Orphée dans les favelas. Ce film constitue une grande première car des comédiens Noirs représentent la France dans les grands festivals internationaux. Le film entame un périple triomphal qui commence avec le Festival de Cannes de 1959 ou il remporte la Palme d'Or se poursuit avec l'Oscar du meilleur film étranger et le Golden Globe en 1960. Les professionnels du cinéma pensent que les comédiens Noirs ont fini par trouver leur place dans le cinéma français. Ce n'est pas le cas. Il faudra attendre encore une décennie pour qu'un acteur Noir finisse par être reconnu.

A contrario les Etats - Unis suivent le chemin inverse. A Hollywood l'esprit et les mentalités évoluent et une star Noire émerge : il s'agit de Sidney Poitier. Dans le long métrage "la porte s'ouvre" il s'impose comme le leader des acteurs Noirs. "Graine de violence" de Richard Brooks (1955) et "L'esclave libre" de Raoul Walsh (1957) lui offre des rôles. "La chaine" de Stanley Kramer (1958) ou il joue un prisonnier évadé avec Tony Curtis le propulse en haut de l'affiche. "Porgy and Bess" d'Otto Preminger (1959) lui offre la renommée internationale. Cette ascension continue avec "Le lys des champs" de R. Nelson (1963) grâce auquel il obtient l'Oscar. Profitant de sa notoriété il choisit des rôles plus engagés comme "Dans la chaleur de la nuit" de Norman Jewison (1967) dans lequel il incarne un inspecteur de police qui doit élucider un crime dans une petite ville raciste des Etats - Unis. Il y a également "Devine qui viens diner ?" de Stanley Kramer (1967) ou il est un médecin qui veut se marier avec une jeune femme Blanche. Ce film sort juste au moment ou la Cour Suprême des Etats - Unis dans une décision du 12 juin 1967 déclare inconstitutionnelle toutes les lois antimétissage.

Parallèlement à la carrière de Sidney Poitier le cinéma indépendant Noir nait et se développe à la fin des années 60. Il s'agit de la Blaxploitation mot valise qui unifie les mots Black (Noir) et exploitation. Ces films engagent beaucoup de comédiens Noirs et brisent les stéréotypes dont ils sont affublés et traitent de tous les problèmes (droits civiques, criminalité, racisme, ...) et abordent tous les genres (policier, films d'horreur, espionnage, film engagé, western, comique). Tous les grands noms de la musique soul contribuent aux bandes son de ces films. Ce genre a eu des succès comme "Shaft" de Gordon Parks (1971), "Sweet Sweetback's badasssss song" de Martin Van Peebles (1971) et des stars. Certaines de ces stars ont intégré le système hollywoodien comme Antonio Fargas et Bernie Hamilton dans la série tv "Starsky et Hutch" ou Roger Mosley dans la série tv "Magnum" ou Pam Grier qui a tourné avec Quentin Tarantino alors que d'autres (Richard Roundtree, Tamara Dobson) n'ont pas eu cette chance. Certains films de la Blaxploitation ont été réalisé par des Blancs et la plupart ont été produit par des Blancs.

Les comédiens Noirs apparaissent également dans la série tv "Racines" de Marvin J. Chomski, John Eramon, Gilbert Moses, David Greene. Cette série de 6 épisodes de 90 minutes tirée du livre d'Alex Haley compagnon de route de Malcom X raconte le quotidien d'une famille d'esclaves sur plusieurs génération dans une plantation. Cette série réalise des records d'audiences.

La France des années 70 n'offre pas la même image. Un seul acteur Noir émerge : il s'agit de Greg Germain. Il joue le docteur Alpha dans la série tv "Médecin de nuit". Les comédiens Noirs travaillent surtout dans la voxographie. Ils doublent en français les répliques des comédiens étrangers. Il créera en 1992 Cinedom + une association qui regroupe les artistes des Dom qui prône l'égalité artistique, la richesse et la pluralité de la culture française et lutter contre les stéréotypes.

A partir des années 80 un acteur et une réalisatrice noirs apparaissent dans le paysage cinématographique français mais vont choisir de s'exiler aux Etats - Unis car les réalisateurs et les producteurs n' offrent que des rôles "très typés" ou refusent de financer les films. Euzhan Palcy est la première réalisatrice noire produite par un studio hollywoodien (MGM) et la seule a avoir dirigé Marlon Brando. Doté d'une culture cinématographique importante elle remarque que les comédiens noirs interprètent toujours des rôles dégradants. Conseillée par François Truffaut elle adapte à l'écran le roman de Joseph Zobel "Rue case nègre" qui parle de la condition des Noirs dans les plantations. Le film obtient 17 prix internationaux aux Etats - Unis dont l'Oscar et en France. Elle veut adapter "Une saison blanche et sèche" de l'écrivain Sud - Africain André Brink mais doit y renoncer en France après qu'un producteur lui ai dit "Les Français ? quant ils voient un bronzé, ils zappent". Dégoutée elle ira aux Etats - Unis pour tourner son film avec Marlon Brando, Donald Sutherland, Susan Sarandon et le fera produire par la MGM. Elle continuera sa carrière aux Etats - Unis avec "Ruby bridges" (1999) et "The killing yards" (2001). L'acteur Isaac de Bankolé connaît le succès avec "Black mic mac" de Thomas Gilou (1986) ou il interprète un immigré Africain à Paris. Il reçoit le César du meilleur espoir masculin mais s'aperçoit que les propositions des rôles sont toujours les mêmes : jouer l' Africain débrouillard. En 1991 il quitte la France et se lance dans une carrière américaine.

Unis la série "Cosby show" créée et produite par Bill Cosby triomphe en 1984 et 1992 sur NBC. Cette série raconte le quotidien de la famille Huxtable une famille noire de Brooklyn. Cette série permet à de nombreux acteurs et actrices débutants ou confirmés de jouer. Certaines critiques diront qu'elle donne une image peu réaliste de la famille noire américaine mais elle contribue à réduire le racisme. Au cinéma Eddy Murphy s'impose dans le registre comique avec "le flic de Berverly Hills" alors que Denzel Washington s'affirme dans des rôles plus forts comme celui du leader anti apartheid Steven Biko dans le film de Richard Attenborough "Cry freedom". Whoopi Goldberg au tempérament comique explosif triomphe dans "Jumping Jack Flash" de Perry Marshall (1986), dans "Sister Act" d'Eric Aedolino (1992) mais aussi dans des films "plus forts" comme "The Player" de Robert Altman (1992), "Couleur pourpre" de Steven Spielberg (1985) et "Corrina, Corrina" (1994).

Au début des années 90 la série "Le prince de Bel Air" s'impose sur NBC. Cette série réalisée par Andy et Susan Borowitz et dont Quincy Jones assure la production raconte la quotidien d'une famille noire en Californie la famille Banks. Cette série permet à Will Smith de faire ses débuts. De nouveaux cinéastes comme Spike Lee "Do the right thing", Mario Van Peeble "New Jack City", John Singleton "Boy's N the Hood" bouleversent le cinéma indépendant en abordant frontalement les problèmes liés aux ghettos comme le racisme et la violence.

En France quelques acteurs noirs se font connaître comme Lucien Jean Baptiste ou Firmine Richard. Ils sont devenus acteurs par hasard. Firmine Richard a commencé par travailler à la RATP puis aux PTT avant d'être remarqué par la directrice de Coline Serreau qui cherchait une comédienne pour "Romuald et Juliette" (1988). Lucien Jean Baptiste a travaillé dans l'événementiel. Ils ont beaucoup travaillé dans la voxographie (doublage de films) et doivent se contenter de rôles précis : gouvernante ("Huit femmes" de François Ozon), mère de famille ("Première étoile" de Lucien Jean Baptiste), femme de ménage ("Romuald et Juliette" de Coline Serreau) pour Firmine Richard et père de famille un peu looser ("Première étoile") pour Lucien Jean Baptiste. La situation aurait pu changer dès le 25 février 2012 lorsqu'Omar Sy reçoit le César du meilleur acteur pour son interprétation d'un jeune de banlieue qui évolue au contact d'un handicapé dans le film d'Oliver Nakache et Eric Toledano 'Intouchables". Omar Sy s'est fait connaître à la télévision au travers du duo qu'il forme avec Fred Testot ("Omar et Fred", "SAV") sur Canal +. Cependant les rôles qu'il décroche se ressemblent : celui d'un jeune de banlieue sympathique et débrouillard. Sur les conseils du producteur américain Harvey Weinstein il décide de partir aux Etats - Unis et donne une nouvelle impulsion à sa carrière. Il apparaît au générique des films "X-Men days", "Jurassic park world" et "Candy store".

Sidney Poitier

Sidney Poitier

Pam Grier

Pam Grier

Eddy Murphy

Eddy Murphy

Isaac de Bankolé

Isaac de Bankolé

Whoopi Goldberg

Whoopi Goldberg

Will Smith

Will Smith

Omar Sy

Omar Sy

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