Je dois tout d'abord m'excuser
Exposition de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, à la Villa Arson 20 avenue Stephen Liégeard 06105 Nice Cedex 2, du 6 juillet au 13 octobre 2014, tél. 04.92.07.73.73, Réalisée en partenariat avec Home (Manchester - GB), la Galerie In Situ de Fabienne Leclerc, le Nouveau Musée National de Monaco, la FNAGP, l'association FUTURUM, l'espace Khiasma, The Abraaj Group Art Prize.
Cinéastes et artistes libanais Joana Hadjithomas et Khalil Joreige se trouvent dans une position singulière entre le cinéma et l'art. Ils utilisent des vidéos ou leurs films pour traiter de l'histoire, de la production des savoirs, de l'imaginaire et des modalités de la narration contemporaine. Le point de départ de l'exposition est un constat assez simple : le développement d'Internet engendre une nouvelle forme d'arnaque le scam. Les deux artistes définissent le scam comme étant une variante du spam (courrier indésirable) qui se base se base sur une réalité vraisemblable (actualité, évènements, conflits) pour abuser le destinataire. Les auteurs rédigent ces messages sous forme de monologues à la première personne du singulier. Ils prennent l'identité de personnes connues ou non et affirment posséder une importante somme d'argent à transférer immédiatement. Un pourcentage important de cette somme ira au destinataire qui accepte d'apporter son aide.
Le scam s'inscrit dans une tradition littéraire. Connue d'abord sous le titre de "la prisonnière espagnole" à la fin du XVIe siècle l'arnaque apparaît en France juste après la Révolution sous l'appellation de "lettre de Jérusalem" (La lettre de Jérusalem, impression digitale, tirages photographiques sur papier archive, 2014). L'ex chef de la police de Sureté François Vidocq en détaille le mécanisme dans un livre paru en 1837 et intitulé "Voleurs, physiologie de leurs mœurs et de leur langage". L'appellation tient au fait que les auteurs étaient incarcérés à la prison de Bicêtre à Paris dont une "rue de Jérusalem" longeait les murs. Dans ces lettres un noble ou un valet sollicite une aide financière pour récupérer un trésor moyennant récompense. Ces lettres apparaissent à un moment historique précis (la Révolution, la Terreur) qui leur permet de prospérer.
L'auteur du scam (le scammer) doit être convaincant. Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ont enregistré les confessions de Fidel un scammer (Fidel, vidéo HD, 2014) qui explique les différentes étapes à respecter. Le scammer s'exprime de façon claire et précise pour que le destinataire adhère au scénario. Le scammer utilise ensuite des accessoires (habits, montre, chaussures,...) qui justifient ses propos. Enfin le scammer choisit un lieu précis (pays, région) ou se déroule le scénario qu'il a élaboré. Ils privilégient les pays en proie à la corruption ou ravagés par les conflits. Ils aident à écrire l'histoire et à établir une cartographie des conflits qui secouent la planète (Géométrie de l'espace, sculptures acier étiré oxydé, atlas des scams, dessins muraux, chronologie de 2005, 2008, 2010). Cependant le scammeur évolue dans un monde virtuel lorsqu'il rédige des scams dont la trame fait penser à des scénarios de films ((de)synchronicity, installation vidéo, 4 écrans synchronisés en boucle, Full HD, 2014). Le scammeur peut toujours comme le montre Fidel décider d'arrêter cette pratique et de s'orienter sur une autre activité (It's all real / Tout est vrai, Fidel, vidéo HD, 2014).
La victime du scammeur réagi de deux façons différentes : elle lutte contre le scammeur ou accepte de rentrer dans son jeu. Un groupe d'individus majoritairement américains qui se font appeler scambaiters ou scambeaters veulent lutter contre les scammeurs. Ils utilisent une technique assez simple : ils entrent dans le jeu des scammeurs pour mieux les leurrer. Les scambeaters cherchent tout d'abord à leur faire perdre du temps car comme le dit l'adage "le temps c'est de l'argent". Les scammeurs envoient rapidement leurs scams à partir de cybercafés. Les scambeaters leur répondent avec des messages assez longs qui obligent les scammeurs à rester plus longtemps devant leur écran. Les scambeaters peuvent aussi demander aux scammeurs de prouver leur bonne foi ou leur motivation. Ils obligent les scammeurs à répondre à un questionnaire ou à se déguiser et à produire le tout sur Internet. Les scambeaters se livrent alors à un jeu cruel dont le but est d'humilier le scammeur. Ce jeu brouille les rapports entre scambeater et scammeur et transforme les scambeaters en gens dangereux (La Chambre des trophées ; béton, verre et photographies, tirages photographiques plastifiés sur rouleaux, 2014). La victime peut aussi choisir d'accepter et préfère rester anonyme comme un fantôme. Elle veut croire que cet inconnu qui lui écrit de loin et qui souffre comme elle de solitude l'a choisie car elle est la seule personne sur laquelle il puisse faire confiance (...about love, Fantôme, 2014).
Cette surdité de la victime fait référence à un séminaire organisé par Jacques Lacan sur une nouvelle d'Edgar Allan Poe "La lettre volée". Dans ce séminaire Jacques Lacan affirme que lorsqu'une personne reçoit une lettre elle estime toujours en être le destinataire même si ce n'est pas le cas (Une lettre arrive toujours à destination, installation, 2 vidéos HD synchronisées). Cette installation est l'écho d'une autre installation la Rumeur du monde (La Rumeur du monde, installation vidéo, 23 écrans, 100 haut-parleurs, 38 films HD, 2014) dans laquelle des acteurs non professionnels veulent émouvoir le spectateur en expliquant les raisons qui les obligent à envoyer un scam. Ils s'efforcent de se justifier mais le spectateur comprend qu'ils ne sont tous que des déracinés. Ainsi Omar et Younes sont deux adolescents qui s'interrogent sur leurs racines et leurs identités (It's all real, Tout est vrai, Omar et Younes, 2 vidéos HD, 2014). Tamara une jeune médecin irakienne se réfugie dans la foi pour oublier les épreuves qu'elle a subit (It's all real, Tout est vrai, Tamara, vidéo HD, 2014) alors qu'Adib un syrien fixe le spectateur avec un regard impuissant (It's all real, Tout est vrai, Adib, vidéo HD, 2014). Sasha préfère ne pas parler et se réfugie dans la pratique de la danse. Elle exprime son tiraillement dans une chorégraphie ou elle semble disloquée et agitée mais ou elle se relève toujours pour retrouver son rythme (It's all real, Tout est vrai, Sasha, installation vidéo, 2 projections synchronisées HD, 2014).
L'exposition aurait pu se conclure avec la masse de bois qui a permis de réaliser les sculptures en acier. Cette masse constitue une matrice qui évoque la terre et conserve la trace des points qui ont servi à dessiner les trajectoires géographiques des scams. Cette masse montre que les scammers, les scambaiters et les victimes sont tous qu'ils le veulent ou non liés entre eux et qu'ils constituent un vaste réseau à l'échelle mondiale (Une Matrice, Sculpture en bois, 200 lames de bois, 2014).
Trois pas de côté - artetcinemas.over-blog.com
Exposition des diplômés 2014 de la villa Arson (Pauline Allié, Tanguy Beurdeley, Jedrzej Cichosz, Lucile Diacono, Raphaël Emine, Quentin Euverte, Victorien Euzard, Céline Fantino, Margaux Font...
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