A la recherche d'Orfeu Negro

par Philippe  -  4 Juin 2014, 08:18

Documentaire, écrit et réalisé par René Letzgus et Bernard Tournois, avec la participation de Gilberto Gil, Milton Nascimento, Roberto Menescal, Cris Delanno, Marcos Sacramento Ile Aiye, Seu Jorge, Breno Mello, Carlos Diegues, Tunico Amancio, en association avec Arte Thema, France 3, MP2 (Brésil), Very much so (GB), le CNC, la région Alsace et la communauté urbaine de Strasbourg.

Le film Orfeu Negro de Marcel Camus n'est pas un film banal. Le réalisateur qui ne se revendique d'aucun courant débarque avec le film au Festival de Cannes de 1959 et remporte la Palme d'Or puis effectue le tour du monde pour finalement obtenir l'Oscar du meilleur film étranger et le Golden Globe du meilleur film étranger en 1960. François Truffaut le considère comme un des membres de la nouvelle vague et va insister pour qu'il figure sur le photo réalisée en 1959 sur les marches du Palais des Festivals de Cannes parmi les réalisateurs de ce mouvement (François Reichenbach, Claude Chabrol, Jacques - Daniel Valcroze, Jean - Luc Godard, Roger Vadim, Jean - Daniel Pollet, Jacques Rozier, Jacques Baratier, Jean Valère, Edouard Molinaro, Robert Hossein).

La genèse du film commence en 1941 lorsque Vinicius de Moraes qui est poète et diplomate décide de moderniser le mythe d'Orphée en le transposant dans les favelas qui entourent la ville de Rio de Janeiro. Vinicius ne peut pas monter sa pièce faute de financements. Il devra attendre plus d'une dizaine d'années pour concrétiser son projet. En 1955 alors qu'il occupe le poste d'attaché culturel à l'ambassade du Brésil à Paris il rencontre Sacha Gordine authentique prince russe et producteur de cinéma. Gordine veut faire un film sur le Brésil et accepte de financer le projet. Le 25 septembre 1956 une première représentation de la pièce est donnée au Théâtre municipal de Rio avec une musique de Tom Jobim, Vinicius de Moraes, Luiz Bonfa et des décors dessinés par Oscar Niemeyer. C'est un succés. Sacha Gordine confie la réalisation du projet à Marcel Camus le neveu de Roland Dorgelès qui s'est fait connaître en 1957 par l'adaptation au cinéma du roman de Jean Hougron Mort en fraude. Marcel Camus commence à effectuer des repérages au début de l'année 1958 mais doit attendre sept mois avant de tourner car le producteur veut être sur que le film soit rentable. Durant cette période il organise avec l'aide du journal brésilien O Globo un vaste casting pour trouver l'acteur et l'actrice qui joueront Orphée et Eurydice. Il invite les hommes et les femmes noirs âgés entre 20 et 30 ans d'envoyer une photo ou de se présenter à Alliance Française de Rio de Janeiro pour une audition. Tous les comédiens seront des personnes de couleur ce qui à cette époque constitue une nouveauté. Finalement son choix s'arrêtera sur Breno Mello un footballeur qui évolue au Fulminense Football Club pour interpréter Orphée. Il choisira sa femme Marpessa Dawn pour le rôle d'Eurydice et Adhémar Ferreira da Silva un champion du monde et olympique de triple saut pour être l'inconnu.

Respectant la chronologie du mythe le film se décompose en trois parties. Orphée conduit un tramway dans la ville de Rio de Janeiro. Il est fiancé à la séduisante Mira et habite une cabane qui se situe dans la favela de Babylonia au - dessus de Leme entre Copacabana et Urca. Comme le héros du mythe il sait charmer et émouvoir. Sa vie bascule lorsqu'il fait la connaissance sur un marché d'Eurydice une jeune campagnarde venue rejoindre sa cousine Serafina. A l'époque 70 % des brésiliens vivent à la campagne et le film montre une ville qui n'est pas encore très urbanisée. Aujourd'hui le marché ou Eurydice et Orphée se sont connus et la cabane d'Orphée ont disparu sous les immeubles. Eurydice aime Orphée mais elle cherche aussi à éviter la jalousie de Mira et un inconnu qui porte un déguisement qui la terrifie. Eurydice décide de participer au carnaval pour retrouver Orphée. La caméra la suit lorsqu'elle déambule dans les rues de Rio. Le réalisateur s'est attaché les services de plusieurs écoles de Samba pour recréer une atmosphère festive et a également inclus des scènes tournées lors du carnaval de 1958. Poursuivie par l'inconnu Eurydice se réfugie au dépôt des tramways et se tue lorsqu'elle essaye de lui échapper. Fou de chagrin Orphée ne se résigne pas au décès d'Eurydice.

Orphée va tout tenter pour retrouver Eurydice. Dans le mythe il affronte le chien Cerbère et les Esmérides qui gardent l'entrée du royaume des Enfers. Il parvient à faire fléchir Hadès le dieu des Enfers impressionné par son courage et son amour. Hadès accepte de lui rendre Eurydice à condition qu'il ne la regarde pas et qu'il ne lui parle pas tant qu'ils ne seraient pas revenus dans le monde des vivants. Alors qu'il s'apprête à sortir des enfers Orphée n'entend plus le pas d'Eurydice. Il se retourne et la perd à jamais. Le réalisateur adapte ce passage et utilise le Candomblé une des religions afro - brésilienne. Cette religion basée sur le culte des Orixas (prononcer Orichas) dieux totémiques associés à un élément naturel (eau, forêt, feu) est un mélange de catholicisme, de rites indigènes et de croyances africaines. Chaque être humain est doté d'un Orixa qu'un prêtre (babalorixa) identifie. Durant la cérémonie Orphée voit les participants utiliser des tambours, de l'encens et prier pour entrer en contact avec les Orixas. Au fur et à mesure de la cérémonie il se manifestent chez certains initiés qui entrent en état de transe et deviennent des intermédiaires entres les dieux et les hommes. Orphée se retourne lorsqu'il croit entendre la voix d'Eurydice dans la bouche d'une initiée mais c'est pour la perdre à tout jamais.

Orphée se montre inconsolable. Il prend le cadavre d'Eurydice et retourne chez lui. Dans le mythe les Bacchantes ou Ménades éprouvent un vif dépit de la voir rester fidèle à Eurydice et décident de le déchiqueter. Le réalisateur adapte ici encore le mythe. Mira la fiancée d'Orphée et ses amies attendent son retour. Dès qu'il arrive elles l'accable de reproches et finissent par le faire tomber d'une falaise. Les deux amants sont réunis dans la mort.

Le documentaire montre que le film a suscité un enthousiasme quasi unanime de la critique même si l'accueil a été plus mitigé au Brésil. Les habitants de Rio reprochent au film de ne pas avoir suffisamment montré la musique émanant du Rio profond. Cependant le documentaire peut également être critiqué sur un point : les réalisateurs demandent à l'acteur Breno Mello de revenir sur les lieux du tournage et d'évoquer certains souvenirs alors que l'actrice Marpessa Dawn n'est pas invitée. Il aurait été intéressant de parler de son parcours avant le film (née aux USA, arrivée en Europe à l'adolescence, petits rôles à la tv anglaise) et de s'intéresser à la carrière des deux acteurs après le film. Breno Mello ne sera pas un acteur à temps complet. Il jouera dans quelques films brésiliens mineurs et songera même à redevenir footballeur. Dans un entretien accordé au journal O Globo il se justifie en évoquant les financements réduits accordés au cinéma brésilien à cette époque. L'actrice Marpessa Dawn fait la une du magazine Ebony de novembre 1959 au même titre que les actrices Dorothy Dandridge, Vanessa Williams, Lena Horne et Halle Berry. Après la sortie du film elle est invitée dans les talk shows. Elle décide de retourner en France mais ne connaîtra plus le même succès. En 1966 elle apparaît dans la pièce "Chérie Noire" qui lui permet d'effectuer une tournée en France, en Belgique le pays de son nouvel époux, en Suisse, en Tunisie, en Algérie et au Maroc. Elle interprétera le rôle de Marie dans le film de Marc Allégret "le bal du comte d'Orgel" issu du livre de Raymond Radiguet et présenté hors compétition au Festival de Cannes de 1970. Elle jouera également dans le film "Sweet movie" de Dusan Makevjev en 1974. Enfin il convient de dire que Marpessa Dawn est décédée 42 jours après Breno Mello en 2008 et d'une crise cardiaque comme lui.

Marpessa Dawn, Breno Melo

Marpessa Dawn, Breno Melo

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