Nollywood

par Philippe  -  3 Juin 2014, 08:33

Nollywood

Nollywood est un néologisme (mot nouveau) formé par la fusion de deux mots existants : le "N" de Nigéria et le "ollywood" de Hollywood. Ce mot évoque l'importance du cinéma au Nigeria. Les chiffres traduisent l'importance de cette industrie : 2000 films sont produits par an contre 800 pour Hollywood (USA) et Bollywood (Inde), 3000 acteurs et actrices, 200 nouvelles créations par mois, 300000 personnes dépendent directement ou indirectement de cette industrie, un public potentiel de 150 millions de personnes, et un chiffre d'affaire total de 20 millions d'euros.

L'essor de Nollywood est lié à l'histoire du Nigeria. Dès 1980 les premières VHS se vendent dans les rues de Lagos et de Kano. Les vendeurs des rues pratiquant le commerce informel utilisent la VHS pour enregistrer des vidéos amateurs dans le but de se différencier de la concurrence. Cependant le pays n'échappe pas à un fléau qui frappe tous les pays d'Afrique : l'instauration d'un régime autoritaire. Jusqu'en 1999 le pays n'est réellement démocratique qu'entre 1960 et 1967 et entre 1976 et 1979. Sous la dictature du général Ibrahim Babangida (1985-1993) une vague de violences s'abat sur le pays. La vie sociale se réduit. Les habitants désertent les rues, les bars et les lieux de culture dont les cinémas. Ils préfèrent rester chez eux et regarder seuls ou en famille des vidéos importées d'Inde ou des USA. Dans ces conditions la production locale de films ne peut lutter contre la concurrence de Hollywood et de Bollywood. Elle se met à tourner au ralentit. La réalisation et la production de films va reprendre après l'arrivée au pouvoir d'un des dictateurs les plus sanglants de l'histoire africaine le général Sani Abacha. Le 13 novembre 1993 le général Abacha renverse Babangida. Il prend le pouvoir alors que le pays connaît une grave crise économique (pénurie et hausse des prix) sur fond de possibles rivalités ethniques (Yorubas contre Haoussas). Il dissout tous les partis politiques. Au début de l'année 1994 cette décision abouti à une grave crise politique. La Nadéco (coalition démocratique nationale) boycotte tout contacts avec le dictateur et organise des manifestions à Lagos. La centrale syndicale NLC et les deux syndicats du secteur pétrolier décident de se joindre au mouvement. En août 1994 le pouvoir régit violemment. Il supprime les syndicats puis ordonne le 26 août la dissolution des conseils d'administration des agences et des sociétés publiques. Les personnels sont également licenciés et tous remplacés par des militaires. Les figurés clés de la télévision publique nigériane et les nombreux artistes et techniciens licenciés se tournent alors vers l'industrie du cinéma pour travailler. Ils écrivent des scénarios, réalisent et produisent des films à petits budgets. Les sujets abordés dans les films ne parlent pas de politique car les professionnels du cinéma veulent éviter la censure et les représailles même si la situation politique du Nigéria se dégrade (exécution d'opposants, mise au ban du Commonwealth). La fin de la dictature en 1998 permet à l'économie de rebondir. L'industrie du film devient le deuxième secteur économique du Nigéria et représente 10 % du PIB.

L'industrie du film nigériane a deux pôles : la capitale économique du pays Lagos et la ville de Kano. A Lagos les films sont tournés en Anglais ou dans l'une des multiples langues que l'on trouve dans le pays. La ville pullule de magasins qui vendent des DVD. La concentration la plus importante de magasins se trouve à Idumtao Market. Cet endroit est étroitement contrôlé par les distributeurs de films pour éviter le piratage. En effet il n'est pas rare qu'un film soit piraté au Nigéria ou en Chine dès sa sortie. Le prix d'un DVD est de 2 € (350 nairas). Ce prix modique permet aux nigérians d'acheter des DVD même si leur niveau de vie n'est pas très élevé (70 % des gens vivent avec moins de 1 € par jour). Les invendus sont écoulés auprès des communautés nigérianes vivant à Londres ou à New - York. Les maisons de production sont regroupées dans le quartier de Surele. Imitant les grands studios hollywoodiens des maisons abritent des bureaux de production, des salles de montage, des entrepôts de matériel mais pas de plateaux de tournage car tout se déroule en décors naturels. L'autre lieu de production de films est la ville de Kano qui se situe dans le nord du pays. Le style des films produits est plus proche des comédies musicales de Bollywood avec un rythme moins frénétique.

Il y a une grande liberté dans les thèmes abordés par les films. Les scénaristes et les réalisateurs ne se soucient pas du politiquement correct contrairement aux télénovelas latino - américaines ou aux films africains francophones qui sont subventionnés par des coopérations européennes, reçoivent des succès d'estime dans les festivals internationaux mais ne sont guère vu par le public. Les scénaristes et les réalisateurs préfèrent traiter directement des problèmes qui affectent le pays. Les scénarios cultivent parfois le comique, souvent le morbide (polar ultra violent, tragédie), voir le mélo de façon à capter l'attention du public à travers une intensité dramatique forte. Cette intensité se retrouve également dans les dialogues ou il n'est pas rare d'entendre les acteurs parler fort. Il faut aussi signaler qu'une maison de production appartenant aux évangélistes la Mount Zion Faith Ministress propose aussi des scénarios religieux qu'elle finance et produit. Ce nouveau phénomène se retrouve également avec des maisons de production musulmanes.

Le budget d'un film au Nigéria est de 12000 € (3 millions de nairas). Le tournage dure une semaine. Les films sont tournés en vidéo. Le tournage n'est pas toujours facile car il se déroule en extérieur et les réalisateurs doivent faire face à deux problèmes. Tout d'abord le racket car ils doivent payer les chefs de bande pour pouvoir tourner sur "leur territoire". Ensuite ils doivent pouvoir compter sur les acteurs car ces derniers acceptent généralement de tourner plusieurs films à la fois. La post production (montage, mixage, étalonnage) a lieu rapidement après le tournage pour accélérer la sortie. Les films sont commercialisés en Afrique de l'Ouest, en Europe, aux USA et partout ou il existe des communautés africaines. Les stars de Nollywood sont Geneviève Nnaji et Joseph Van Vickers. Leurs cachets de 17000 € paraissent dérisoires par rapport à ceux pratiqués à Hollywood mais il s'agit d'une somme importante dans un pays ou le revenu moyen est de 330 € par an.

En France les films de Nollywood peuvent être vu en français sur Nollywood Tv sur le bouquet africain (17 chaines africaines et 140000 abonnés). La chaine propose un film en français toutes les deux heures et un nouveau film en français chaque soir. Un festival dédié aux films de Nollywood se déroule également à Paris entre le 30 mai et le 2 juin. Il s'agit du Nollywood Week. Une douzaine de films sont projetés au cinéma l'Arlequin (76 rue de Rennes 75006 Paris).

Scène de tournage de "Dazzling Mirage" de Tunde Kolani

Scène de tournage de "Dazzling Mirage" de Tunde Kolani

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