De l'expressivité primitive au regard inspiré

par Philippe  -  4 Août 2014, 15:17

tableau figuratif
tableau figuratif

Centre d'art la Malmaison, 47 la Croisette, 06400 Cannes, fermeture annuelle en mai et en juin, tous les jours de 11 h./20 h. (juillet/août), tous les jours de 10 h./19 h. (septembre), de 10 h./13 h. et de 14 h./18 h., fermé le mardi (octobre/avril), tél. 04.97.06.45.31,

En 1970 la Direction des affaires culturelles de la ville de Cannes acquiert un nouvel espace d'exposition situé au rez - de - chaussée de la Malmaison sur la Croisette. L'histoire de la Malmaison est liée à celle du Grand Hôtel. Construit en 1863 sur les plans des architectes Vianey et Blondel le Grand Hôtel a été habité jusqu'à la fin des années 1950. Il a été démoli puis reconstruit en 1863. La Malmaison était une résidence du Grand Hôtel au temps de sa splendeur. La Malmaison est le seul pavillon qui subsiste de l'ensemble initial et devint une galerie d'art dès 1945. La ville de Cannes a rénové en 1983 et restructuré en 1993 la Malmaison.

La Direction des affaires culturelles de la ville de Cannes présente en exclusivité et pour la première fois en Europe une exposition aussi importante sur l'art premier africain. L'exposition confronte plus de 200 sculptures d'art premier appartenant à la collection du galeriste Jean Ferrero à des œuvres du XXe siècle. Les affaires culturelles de la ville de Cannes semblent poursuivre un double objectif : faire de la ville de Cannes une étape incontournable en matière d'art premier et développer les ventes aux enchères autour de ce type d'art.

La place que l'art premier occupe est liée aux relations que les Européens et les Africains ont tissé. Lorsque les premiers européens arrivent en Afrique ils sont bien accueillis par les autochtones qui sont émerveillés. Ils comprennent très vite que le but des nouveaux arrivants et de les asservir. Face à la puissance des armes des Européens ils finissent par être vaincus et deviennent esclaves. Les colonisateurs qui affirment agir au nom de l''esprit des Lumières réalisent un véritable ethnocide en détruisant tout trace de culture. Cet ethnocide touche les Africains en Afrique mais aussi les Africains déportés en Amérique du Nord dans les ghettos ou les champs de coton.

Le renouveau de l'art premier est du à l'avant garde artistique européenne de la fin du XIXe siècle mais aussi dans une moindre mesure au personnel colonial et aux missionnaires religieux. Les missionnaires et le personnel colonial perçoivent les sculptures et les masques comme de simples curiosités au même titre qu'une carte postale. Les artistes comprennent mieux le sens de ces objets. Ils éprouvent comme Gauguin le goût pour l'exotisme et utilisent les sculptures et les masques pour mettre au point une nouvelle représentation du corps et de la figure comme Picasso dans le tableau "les demoiselles d'Avignon" peint en 1907. Ils proposent en esthétique nouvelle dans laquelle l'artiste représente le monde tel qu'il le perçoit et non tel qu'il le voit. Cette esthétique rompt avec celle qui était en vigueur depuis la Renaissance ou tout était codifié. Il ne s'agit pas de se réapproprier les œuvres primitives mais de mettre en lumière ce que les cultures ont en commun. Il faut redonner du sens à des œuvres qui ont longtemps été méprisées.

Le galeriste Jean Ferrero inscrit sa démarche de collectionneur dans cette perspective. Son objectif est d'accumuler des objets pour laisser une trace. Sa première rencontre avec l'art premier date des années 1950 lorsque des coloniaux de retour d'Afrique lui ont montré des masques et des statues. Il a commencé sa collection à cette époque et s'est lancé dans une véritable compétition avec Arman et César pour acquérir le plus d'objets. Les objets présentés montrent une omniprésence du sacré et des rites complexes (le pur et l'impur, la perpétuation de la lignée, la cohésion des alliances, la force et la cohésion du clan). Ils entrent en concurrence avec d'autres plus usuels qui sont patinés par le temps et le travail des artistes. L'art premier est également un art anonyme. Il obéit à des préoccupations mystiques et les artistes n'éprouvent pas le besoin de signer leurs œuvres dans des sociétés sans écriture. Les artistes apprennent leur métier dans des ateliers sous la direction d'artistes plus anciens qui font offices de maîtres. Ils travaillent quasiment en continu en fonction de commandes. Cet anonymat est également du à la façon dont les œuvres ont été récoltées. Le colonisateur n'avait aucun égard pour l'artiste et se contentait de prendre ou de payer à vil prix. Les sculptures et les masques présentés traduisent une multiplicité de styles et de traditions qui coïncident avec les différentes peuples et les différents royaumes d'Afrique. Les ethnologues proposent de distinguer les styles en fonction de trois critères. Il faut d'abord considérer l'origine ethnique (cet art prend tout son sens lorsqu'il est mis dans le contexte de cérémonies ou de croyances auquel il se rattache). Il faut ensuite prendre en compte l'origine géographique (Afrique de l'Ouest, méridionale et de l'Est). Enfin il faut analyser les œuvres du point de vue de leur succession historique (ex. Nok/Ifé/Benin) et de leur matérialité (bois, pierre, terre cuite, métal, tissu, perle).

L'art premier reste toujours un marqueur pour l'avant garde. Dans les années 1980 un nouveau mouvement crée par des artistes et des critiques la trans avant garde internationale revendique sa filiation avec l'art premier. Ce mouvement prône le retour de la peinture figurative, la domination de l'art conceptuel et une esthétique sans contraintes. Cette peinture libre et violente s'inscrit également dans la bande dessinée, le graffiti et la culture des ghettos Afros - américains. Ses représentants les plus éminents sont Basquiat, Combas et Garouste.

Jusqu'aux années 1950 il était facile de se procurer des sculptures et des masques africains. Il suffisait d'aller dans n'importe qu'elle brocante ou aux marché aux puces à Paris. Ces objets n'étaient pas cher. Puis leur côte a grimpé. Désormais certaines pièces provenant du Benin (bronze) de Côte d'Ivoire (patine noire) et du Gabon (cuivre, laiton) atteignent de fortes sommes dans les ventes aux enchères. Les gouvernements africains ont longtemps laissé les statues, sculptures et masques sortir d'Afrique car ils n'éprouvaient aucun intérêt pour l'art. Ainsi une grande partie de l'art premier se trouve chez des collectionneurs européens ou dans des musées. Cependant l'Unesco a adopté une résolution au début des années 1990 dans laquelle elle demande aux gouvernements africains de mieux contrôler le marché.

Jak Arnould "Série de girafes masquées", 1990

Jak Arnould "Série de girafes masquées", 1990

Jim Dine "At the carnival", 2007

Jim Dine "At the carnival", 2007

Anonyme

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